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Le Blog de Frédéric Legros
26 juin 2014

Mini conte n°6

LE GOUFFRE

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Il avait découvert ce gouffre anonyme une après-midi de randonnée pédestre, et tenta de l'explorer seul avec son équipement de spéléologue le soir même. Le trou était à peine plus large que lui.

Il s'y était glissé non sans difficulté et sans aucun autre appui que le vide. Il avait descendu à l'aide d'un mini-treuil plus de dix mètre dans l'obscurité. Il y découvrit tout au fond une grotte immergée. A la lumière faiblissante de sa lampe, il se dégagea de son attirail et s'enfonça dans l'eau, troublant ce qui s'était figé depuis des millénaires. L'eau gelée lui arrivait jusqu'à la taille.

La lumière qu'il introduisait en ces lieux dansait et faisait scintiller les cristaux qui grêlaient les roches. Avec comme musique inquiétante, l'écho de sa propre respiration, il avançait vers l'inconnu. La cavité se rétrécissait, quelques stalagmites faussement amicaux dépassaient de la surface de l'eau et le saluaient à son passage.

Il continua à avancer. Malgré tout. Il sentit le froid et l'humidité le paralyser doucement. Une heure, un jour, il ne savait plus combien de temps il s'enfonçait dans cette cavité sans fin.

Et puis, baignant dans l'eau, au fond d'une coursive creusée par le petit doigt d'un géant, il découvrit un rideau en tafta, comme ceux qu'on voit au théâtre. "L'entrée des artistes" se dit-il. Il tira le rideau et tomba sur une fenêtre.

Elle donnait sur des montagnes noires luttant à armes égales contre un vaste ciel chargé en nuages menaçants. Le tonnerre grondait. Soudain, la foudre, assourdissante, aveuglante, brisa en mille éclats le sommet d'un des pitons rocheux. Il tourna la poignée de la fenêtre. Le vent d'une violence folle s'engouffra dans la cavité, l'eau stagnante tomba en cascade vers l'extérieur et l'emporta.

Dans sa chute vertigineuse, il croisa des rochers qui lui semblaient être comme en suspension. Il vît aussi ses dernières secondes. En bas, des centaines de mêtres plus bas, une bruine insondable.

Il plongea dans un nuage aussi épais que du coton. Il s'enlisa encore et encore vers d'autres profondeurs : la mousse végétale aux alvéoles d'éponge, le silice sphérique aussi léger que de l'hélium, le graphite en petits copeaux soyeux, le magma tiède, fluide et pulpeux, couleur des agrumes. Il traversa les matières, sans aucune résistance, dans une chute infinie, pour se retrouver littéralement à l'envers du monde. Il ne fut bientôt qu'un infime, qu'un minuscule petit point dans l'espace.

 

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25 juin 2014

Mini conte n°5

MON CHAT

cropped-banfredmili

Le chat faisait des points d'interrogation avec sa queue ondulante et son anus. Il ne pouvait s'empêcher de rouccouler en frottant sa joue poilue contre ma jambe poilue. "Pourquoi ne me donnes-tu pas à manger ?" se transforma rapidement en ordre militaire lorsqu'il me mordilla gentiment les mollets. "AÏeeh"... "Donne moi à manger, esclave !".

Je sortis alors de l'armoire magique (magique pour le chat) le paquet de 15 kilos et demi des croquettes Calinou, saveur multi-fruits secs (à moins que je ne me sois trompé avec le paquet de muesli).

Et remplis, avec la résignation de l'esclave qui met genou à terre, l'auge royale de son altesse sérénissime.

Le chat apprécia l'effort et estima, à la manière d"un juge hongrois lors des purges staliniennes, le contenu du contenant. Il leva la tête vers moi. Je sentis alors tout le poids de Dieu s'abattre sur mes épaules. Sa mine mêlait accusation, déception, incompréhension et le mépris le plus total à mon égard. "Et tu crois que je vais manger, ça ! Moi, je veux et j'exige des fontaines, des geysers de lait, des yaourt brassés à la scandinave dans des pots extra-larges pour que je ne salisse mes saintes moustaches ... et des farandoles de cotelettes d'agneau ayant mascéré au préalable dans un sac poubelle, que j'aurai évidemment lascéré.

Pour le coup, je vais te miauler dessus indéfiniment et te caca-prouter, avec la bonne senteur des landes, dans le bac à crottes, pour que tu sentes l'affront que j'ai subi, Esclaaaave."

Il fouetta l'air de sa queue pour parfaire son irritation la plus pure en oligo-agacements.

Et il regarda vers la cuisine, lieu de tous les espoirs, où trônait sur le plan de cuisine des steacks hachés joufflus en fin de décongélation. Il me regarda : "Si tu me tournes le dos, mon courroux sera puissant !! AAA Ahhhh"

 

 

24 juin 2014

Mini conte n°4

LA FIN DU MONDE ASTRAL

 

FroggerPetite

De sa déférente crête, le Dieu des Coqs salua Rorchachat, Serpent-chat à tête d'encre, gardien de la chambre de l'Infante Royale (et accéssoirement, gardien de but du FC Brickzoole Tarbanaü Z) et passa la porte en ivoire sur lequel régnait un soleil joufflu. L'Infante Royale, Effilia, avait 3 600 ans et espérait toujours devenir Reine du Haut Empire Astral. Mais depuis la Grande Guerre des Trois Icones, elle devait sagement attendre le signe céleste, celui de la conjonction des deux mauves lunaires et du Grand soleil d'Ether afin d'accéder au trône.

Autant le dire de suite, elle montera sur le trône quand les Poules auront des dents, c'est-à-dire jamais ! A la place de son improbable gouvernance, laquelle sauverait à n'en pas douter l'Empire de tous les maux, un conseil de sages corrompus qui dévoyait le pouvoir dans de grandes orgies massives et des massacres lubriques de basses populations : patatoïdes, tritons, gallinacés et gastéropodes.

Le Dieu des Coqs annonça à Effilia la Fin des Temps prochaine, la faute à Zebriiilius, un des méchants sages, qui par sénilité plus que par défiance avait osé sortir de son réceptacle la Grosse Boule de l'Equilibre.

Effilia, omnisciente, le savait déjà. Les dix continents, à travers les ciels de plomb et les mers de gaz, s'effritaient déjà. Les populations étaient aspirés par les sables de masse noir.

Et des Lombrics galactiques se repaissaient des dernières ondes magnétiques qui protégeaient ce monde.

Effilia pleurait pour ce monde qu'elle chérissait. Une larme de marbre sortit d'un de ses milliers tubes de gélatine occulaire (des yeux par chez nous) comme pour honorer ce Haut-Empire, au bord du gouffre, qui s'éteint pour la quinzième et peut-être dernière fois en vingt-cinq millions d'année d'Histoire.

 

23 juin 2014

Mini conte n°3

DANS LA BOîTE EN FER

 

Arti l'arbre

Chaque été de mon enfance, c'était baignade, pistaches et coquelicot. Sous le soleil de Perpignan, ce vieux Maurice, chemise à carreaux et moustache, n'en finissait pas de bêcher son lopin de potager (il y cultivait les futures victimes d'une ratatouille), tandis que les neveux et nièces, entre un Tang et trois chocos bn, testaient la resistance d'une piscine à boudins.

De ces étés passés chez le tonton, ils ne restaient plus que des souvenirs figés par des photographies jaunies et une ruine de maison qu'un incendie avait achevé l'année dernière.

Je revîns sur les lieux le soir de mes trente ans à la recherche d'un bien enfoui... Enfoui au pied d'un arbre devenu grand... Des décennies auparavant, mon grand cousin Thibault avait réuni tous les moins de neuf ans dans la cabane du jardin et avait arbitré les débats sur le devenir de ce que la petite Fanny avait trouvé dans un champs voisin. Cette chose interdite, si dangereuse, si... improbable entre les mains d'enfants innocents. Le verdict tomba à la tombée de la nuit, au son des grillons : il fallait enterrer cet objet de malheur à tout prix et l'oublier à tout jamais, et surtout, ne jamais en parler aux adultes. Ne plus jamais en parler, même entre nous !

Quelques coups de pelle et je tombai sur la fameuse boîte à bonbon, en fer rouillé, dans laquelle on avait enfermé cette chose. J'hésitai un instant avant de l'ouvrir. Je ne me rappelai plus exactement à quoi cela ressemblait, ce que c'était précisément. Mais je savais que cela hantait mes nuits d'adulte depuis bien trop longtemps.

J'ouvris la boîte, tremblant tel le gamin que j'étais, petit blondinet à lunette, chétif et craintif. Et là, les souvenirs affluèrent et me submergèrent comme une immense vague noire : ma chute de vélo en 1986, un coup de soleil qui n'en finissait jamais de peler sur mon nez tous ces étés, les bisous forcés à un crapaud un après-midi de juillet pour assumer un méchant gage, uriner sur un tas de cartons une nuit de quinze août sans penser qu'un clodo sans dent y poussait un somme...

La boîte contenaît une...une... une

La boîte contenait une musicassette intacte de Michel Sardou.

 

 

22 juin 2014

Mini conte n°2

RENDEZ-VOUS GALANT

 

romantique

Difficile de ne pas se retenir lorsqu'on se tient devant un miroir. Le professeur Naglizca se remit la mèche au bon endroit pour cacher la misère d'une calvitie bien entamée, et épousseta son noeud papillon de quelques pellicules dissonantes. Rendez-vous galant était pris à la brasserie Bien le Bonjour avec une charmante dame. Il y allait de ce pas, non sans un dernier mime devant la glace pour se convaincre de son pouvoir de séduction.

Deux trois calèches plus tard, il s'attabla en terrasse. Deux trois heures plus tard, la dame vînt. D'une grâce féline, enrobée de frous frous fruités et d'un teint hâlé. Grazia, c'était son nom, était danseuse nue dans un sordide cabaret des bas quartiers (première à droite de la rue des Pomelons en partant de l'avenue Gloche) et avait accepté sans effort les avances répétées du professeur. Lequel professeur venait tous les soirs dans les coulisses la féliciter de ses acrobaties. Elle avait tout intérêt à venir à ce rendez-vous, étant une grande espionne à la solde de l'ennemi sans nom...

Elle déposa un baiser sur le front du professeur et lui glissa un mot enjôleur à l'oreille. Le professeur lui sortit un bouquet d'héliotropes géants, métaphore maladroite de son amour fou à cet instant. Elle entraîna alors vers les toilettes de la brasserie, le portant littéralement sous le bras, sans que personne ne s'en emmeuve. Elle le plaqua farouchement contre le mur, sourit et sortit de son imposant décolleté un petit pistolet qu'elle pointa sur son nez. "Tu n'es pas le professeur, où est le professeur !?". Naglizca objecta par des marmonements indignés. Elle fulmina : "A trois, je tire !"

 

"UN, DEUX, TROIS !"

 

Le miroir se brisa.

 

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21 juin 2014

Mini conte n°1

ESMERALDINE

 

sorcière

Ouvrir la porte de l'immeuble d'Andrade, cela semblait facile mais en réalité, il n'y avait que des portes de sortie.

Esmeraldine en fit le tour avec son seau, son balai et sa bombonne de fongicide. Son patron lui avait indiqué que la difficulté pour nettoyer toutes les cages d'escalier de cette tour haute de trois-cent mille étages était de trouver comment y pénétrer... sans que l'alarme, prenant la forme buccolique d'une fanfare de village, ne se déclenche.

Elle regarda sous le paillasson. Il y avait bien une clé à tête de mort mais aucune serrure en vue, que des portes qui s'ouvraient vers l'extérieur, vierges d'orifice. Elle gratta son psoriasis qui se plaisait à pousser sur sa joue gauche, et d'un geste vif tampona le carreau unique d'une des dix huit portes affichant ironiquement un EXIT rose néon. Le concierge était mort il y a trois ans, et l'immeuble était réputé être vide mais sait-on jamais, se dit-elle.

Un tamanoir nain et volant (avec des ailes en écailles de tatou) se colla, sa langue tubulaire pendue, sur la surface mal lavée de la vitre. Esmeraldine sursauta comme jamais, comme dans un dessin animé. Elle enfila ses babouches, et décolla du sol dans des vapeurs incongrues pour quitter cet endroit désormais maudit.

Esmeraldine n'avait jamais vu de tamanoir, nain et volant, de sa pauvre vie de femme de ménage, ni en vrai, ni dans aucun livre existant. Tout comme elle n'avait jamais vu de cochon bleu. Elle balaya l'air à l'aide de son balai pour se diriger vers le second vortex.

 

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